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Philippe Forest
Note de lecture sur
Alain Trouvé, Lire l’humain. Aragon, Ponge : esthétiques croisées,
ENS Editions, 2018.
Le genre des Vies parallèles a ses lettres de noblesse. Et l’exercice académique qui consiste à comparer deux grandes figures du passé eut ses heures de gloire. Pour que l’entreprise ait quelque intérêt, deux conditions sont cependant nécessaires. D’abord, que celui qui s’y livre ait quelque talent. Ensuite, que les deux éminents personnages confrontés soient à la fois suffisamment semblables et assez différents pour que quelque chose soit susceptible de sortir de leur rapprochement. Ces deux conditions sont réunies avec l’ouvrage qu’Alain Trouvé (auteur d’un remarquable essai portant sur La Défense de L’infini, Le lecteur et le livre fantôme chez Kimé) consacre aujourd’hui à Aragon et à Ponge. Les deux sont poètes. Ils ont été proches du surréalisme et membres du parti communiste, ont participé à la Résistance et ont servi de mentors à la jeune avant-garde des années 1960. Mais le moins qu’on puisse dire est que les chemins politiques et les parcours poétiques qu’ils ont suivis ont plutôt été divergents. Ce qui explique une certaine distance et, parfois, une franche animosité. Du poète du Crève-Coeur à celui du Parti pris des choses, c’est le grand écart. Entre eux, un espace existe qui a toutes les apparences d’un infranchissable précipice mais à partir duquel Alain Trouvé démontre avec beaucoup d’habileté comment il est possible de circuler de l’une à l’autre des deux oeuvres concernées et qui, semblablement, font de la poésie de Lautréamont ou de la peinture moderne leur objet, questionnent leur propre genèse, inventent une forme nouvelle d’écriture à laquelle participent le poème, l’essai et l’autobiographie. Car, comme l’explique Alain Trouvé, « la poétique des deux auteurs conduit par des voies en partie disjointes à mettre en question une métaphysique de la raison. »
Philippe FOREST
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