Evènements

Conférence sur Le Clézio, Haï, IUTL, Reims, 20 décembre 2017, 14h

Conférence 

IUTL de Reims

Maison Saint-Sixte, 6 rue du Lieutenant Herduin, Reims

Mercredi 20 décembre

14h-16h

Alain Trouvé

« Penser l’art à l’écoute de la leçon indienne »

(J.M.G. Le Clézio, Haï, 1971)

Couverture de l’édition originale (épuisée)

Quatrième de couverture (1971)

« La rencontre avec le monde indien n’est plus un luxe aujourd’hui. C’est devenu une nécessité pour qui veut comprendre le monde moderne. Comprendre n’est rien, mais tenter d’aller au bout de tous les corridors obscurs, essayer d’ouvrir quelques portes : c’est-à-dire, au fond, tenter de survivre. Notre univers de béton et de réseaux n’est pas simple. Plus on veut l’expliquer, plus il nous échappe. Vivre au-dedans, hermétiquement clos, en suivant les impulsions mécaniques, sans chercher à transpercer ces murailles et ces plafonds, c’est plus que de l’inconscience : c’est s’exposer au danger d’être perverti, tué, englouti. Nous savons aujourd’hui qu’il n’y a pas de vérités : il n’y a que des explosions. Partir, nous voulons partir. Mais pour où ? Tous les chemins se ressemblent, tous sont des retours sur soi-même. Alors il faut chercher d’autres voyages. Le temps, l’espace, qu’est-ce que cela ? À chaque seconde nous découvrons dans le spectacle de notre présent, de notre familier, les abîmes de l’avenir, de l’éloignement. Les doutes vont vite. Ils vont beaucoup plus vite que les exploits techniques. Au bout du paysage de l’avenir, au bout de ces routes de ciment, des ponts suspendus, de ces dédales des villes, de ces dessins des villes et des transistors, il y a peut-être encore ce même pays, inconnu, ce pays vieux de plusieurs millions d’années, sombre, pénétré de solitude et de mystère ce pays muet et hautain n’est encore qu’un tressaillement presque imperceptible, ce pays si terriblement vaste, si vivant que les choses les plus inertes battent comme des coeurs et vibrent comme des cerveaux, pays dépeuplé, pays légendaire qui est en train de naître. Là, un jour, sans qu’on sache bien comment, on se trouve en présence des raisons premières, et l’on voit ce qui pourrait venir. On perçoitimmédiatement comme si c’était écrit dans chacune de nos cellules, les mots et les dessins élémentaires qui émettent leurs signaux incessants. »

J..M.G. Le Clézio

Prix Nobel, discours de réception prononcé par J..M.G. Le Clézio (4 novembre 2008)

« Dans la forêt des paradoxes »

Extraits

« Comment est-il possible par exemple de se comporter, d’un côté comme si rien au monde n’avait plus d’importance que la littérature, alors que de l’autre il est impossible de ne pas voir alentour que les gens luttent contre la faim et sont obligés de considérer que le plus important pour eux, c’est ce qu’ils gagnent à la fin du mois ? Car il (l’écrivain) bute sur un nouveau paradoxe : lui qui ne voulait écrire que pour ceux qui ont faim découvre que seuls ceux qui ont assez à manger ont loisir de s’apercevoir de son existence. » (Stig Dagerman , L’écrivain et la conscience)
« Cette « forêt de paradoxes », comme l’a nommée Stig Dagerman, c’est justement le domaine de l’écriture, le lieu dont l’artiste ne doit pas chercher à s’échapper, mais bien au contraire dans lequel il doit « camper » pour en reconnaître chaque détail, pour explorer chaque sentier, pour donner son nom à chaque arbre. […]
[…] Je dois à la forêt une de mes plus grandes émotions littéraires de mon âge adulte. Cela se passe il y a une trentaine d’années, dans une région d’Amérique centrale appelée El Tapón de Darien, le Bouchon, parce que c’est là que s’interrompait alors (et je crois savoir que depuis la situation n’a pas changé) la route Panaméricaine qui devait relier les deux Amériques, de l’Alaska à la pointe de la Terre de Feu. L’isthme de Panama, dans cette partie, est couvert d’une forêt de pluie extrêmement dense, dans laquelle il n’est possible de voyager qu’en remontant le cours des fleuves en pirogue. Cette forêt est habitée par une population amérindienne, divisée en deux groupes, les Emberas et les Waunanas, tous deux appartenant à la famille linguistique Ge-Pano-Karib. Etant venu là par hasard, je me suis trouvé fasciné par ce peuple au point d’y faire plusieurs séjours assez longs, pendant environ trois ans. Pendant tout ce temps, je n’ai rien fait d’autre que d’aller à l’aventure, de maison en maison – car ce peuple refusait alors de se grouper en villages – et d’apprendre à vivre selon un rythme entièrement différent de ce que j’avais connu jusque là. Comme toutes les vraies forêts, cette forêt était particulièrement hostile. Il fallait faire l’inventaire de tous les dangers, et aussi de tous les moyens de survie qu’elle comportait. Je dois dire que dans l’ensemble, les Emberas ont été très patients avec moi. Ma maladresse les faisait rire, et je crois que dans une certaine mesure, je leur ai rendu en distraction un peu de ce qu’ils m’ont appris en sagesse. […]
[…] Ayant assimilé le système de communisme primordial que pratiquent les Amérindiens, ainsi que leur profond dégoût pour l’autorité, et leur tendance à une anarchie naturelle, je pouvais
imaginer que l’art, en tant qu’expression individuelle, ne pouvait avoir cours dans la forêt. D’ailleurs, rien chez ces gens qui pût ressembler à ce que l’on appelle l’art dans notre société de consommation. Au lieu de tableaux, les hommes et les femmes peignent leur corps, et répugnent de façon générale à construire rien de durable. Puis j’ai eu accès aux mythes. […]
Dans tout son pessimisme, la phrase de Stig Dagerman sur le paradoxe fondamental de l’écrivain, insatisfait de ne pouvoir s’adresser à ceux qui ont faim – de nourriture et de savoir – touche à la plus grande vérité. L’alphabétisation et la lutte contre la famine sont liées, étroitement interdépendantes. L’une ne saurait réussir sans l’autre. Toutes deux demandent – exigent aujourd’hui notre action. Que dans ce troisième millénaire qui vient de commencer, sur notre terre commune, aucun enfant, quel que soit son sexe, sa langue ou sa religion, ne soit abandonné à la faim ou à l’ignorance, laissé à l’écart du festin. Cet enfant porte en lui l’avenir de notre race humaine. À lui la royauté, comme l’a écrit il y a très longtemps le Grec Héraclite. »

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