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« Heidegger au crible de la sémantique interprétative »

Note de lecture

« Heidegger au crible de la sémantique interprétative
Nécessité de la raison critique »

À propos de, François Rastier, Naufrage d’un prophète, PUF, 2015

Voici un livre qui éclaire certains des enjeux cruciaux du monde actuel et peut amener à bousculer la hiérarchie des valeurs intellectuelles établies. Non que François Rastier soit le premier à commenter le lien entre l’oeuvre de Heidegger et le nazisme : de Herbert Marcuse (1934) à Emmanuel Faye (2005-2015), en passant par Adorno, Bourdieu et quelques autres, cette accointance pour le moins troublante a été interrogée sans toutefois ternir l’immense aura de celui que, dans son champ disciplinaire, nombre d’intellectuels de sensibilités diverses continuent à présenter comme le plus grand philosophe du vingtième siècle. Parmi les héritiers encore très en vue de cette pensée qui instruisit le procès de la philosophie et de la raison, figurent les courants de la postmodernité et, pour leur revendication identitaire, des cultural studies, courants que nul, s’il veut se situer dans le champ de la pensée contemporaine, ne saurait ignorer.
À ce qui était déjà connu et objet de discussion s’ajoute la publication en 2014 et 2015 de quatre volumes des Cahiers noirs (1800 pages) correspondant à un journal tenu par Heidegger entre 1931 et 1976. Ces quatre volumes « radicalisent les thèses nazies sur le complot juif mondial » et font apparaître l’unité en profondeur de la pensée du philosophe de l’Être et de l’idéologie d’extermination. François Rastier réclame, non sans raison, une lecture globale du corpus.
En sémanticien de l’interprétation, il explore les raisons du décalage entre ce qui constitue aujourd’hui un ensemble de textes accablants et une aura persistante, raisons liées aux héritiers divers mais aussi à la stratégie retorse du Maître.
Heidegger s’est en effet lui-même pensé en Prophète : la publication de son oeuvre, programmée selon ses instructions, a été volontairement différée jusqu’en 2046, en fonction d’une vision séculaire, voire millénariste de sa portée, mais aussi d’un opportunisme non dépourvu d’intuition. Tout se passe comme si avait été anticipée l’évolution du climat idéologique mondial : tandis que dans l’après-guerre, il fait profil bas et présente ses liens avec le régime hitlérien comme une grosse Dummheit (grande bêtise), permettant à ses défenseurs de lui éviter l’emprisonnement que d’autres connurent comme Carl Schmitt, l’appel des Cahiers noirs à l’extermination de la race juive, assimilée à la raison, à la science et à la technique, contraires à l’accomplissement de l’Être, trouve une autre résonance au début du vingt-et-unième siècle : « la séquence dénégation, euphémisation, banalisation, réaffirmation est en train de s’accomplir sous nos yeux en répétant la progression mise en œuvre par Heidegger lui-même après la guerre. »…..

Alain Trouvé

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