Historique de la recherche sur la Lecture littéraire à l’université de Reims
Rédaction (A.T.)
NB : La période 1993-2006 est complétée par le témoignage de Bertrand Marchal, les années 2006-2008 par le point de vue de Vincent Jouve.
La notion de lecture littéraire donne lieu à bien des malentendus et interrogations. Simple lecture des textes littéraires pour les uns, abusivement distinguée de la vieille tradition critique, elle n’ouvrirait sur aucune recherche originale, tandis que d’autres lui décerneraient un brevet d’existence tout aussi fragile, tant serait élitiste et minoritaire la pratique défendue sous ce label. La réalité est probablement plus complexe et contradictoire. Essayer de reconstituer la brève histoire de La lecture littéraire à Reims peut jeter quelque lumière sur une notion problématique mais encore féconde. Il apparaît ainsi que la recherche menée à Reims a connu plusieurs phases.
1/ LES ANNÉES 1976-1993 : fondation et développement d’un Centre de Recherche sur la Lecture Littéraire
En 1976-1977, Michel Picard crée un séminaire d’études sur la lecture littéraire. Le texte de la conférence inaugurale est publié quelques mois plus tard dans la revue Littérature : « Peut-être n’est-il pas trop schématique d’avancer que l’objet des études littéraires s’est trouvé radicalement redéfini durant ces dix ou vingt dernières années, en France tout particulièrement. La littérature, dans la mesure où les terrorisme linguistique ou sociologique lui concèdent l’existence, cesse d’être une chose, calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur, énigme géniale au seuil de laquelle cessent les efforts d’une scientificité manière XIX° siècle : c’est un rapport. Rapport double : de l’écrivain et de son public, du public et de ce texte. Actes, parallèles plutôt que symétriques, l’écriture, la lecture. […] Au texte comme production contradictoire répond une lecture comme pratique dialectique. […] La lecture aurait […] pour fonction […] de procurer au sujet une « épreuve de réalité » d’un type particulier, une expérience de socialisation privilégiée. […] Point d’acte plus éminemment éthique, on en conviendra, que la lecture littéraire. » (Michel Picard, « Pour la lecture littéraire », Littérature, n° 26, mai 1977, p. 42-50).
D’abord séminaire de troisième cycle, ce séminaire s’est ensuite étoffé et transformé en DEA. Durant toutes ces années, des conférences mensuelles suivies de débats sont organisées, qui voient se succéder à Reims théoriciens et praticiens de la littérature (Jourdheuil, Butor, Levaillant, Kibédi-Varga, Ubersfeld, Duchet, Viala, Niess,…), philosophes (Bloch-Jambet), psychanalystes (Dr Delille).
Le colloque La lecture littéraire (Reims, 1984) peut être considéré comme second moment fondateur : « Un net glissement s’est […] opéré, une sorte de translation. L’intérêt des chercheurs est passé du texte au lecteur, comme jadis de l’auteur au texte. […] Riffaterre, Holland, Iser, dont les apports se sont révélés à cet égard irremplaçables et indispensables, nous invitent aujourd’hui à aller plus loin », note Michel Picard en ouverture de ce colloque. Le tout nouveau concept de lecture littéraire semble procéder effectivement d’une large synthèse incluant les réflexions sur la réception (Jauss), sur la pragmatique du langage (Austin, Searle), et s’inspirant, pour explorer la performance du lecteur, d’une approche psychanalytique renouvelée, telle qu’ont pu l’illustrer Anzieu ou Bellemin-Noël, le fondateur de la textanalyse. On remarquera aussi que nombre de suggestions disséminées dans les écrits de Barthes oeuvraient déjà en ce sens. Le célèbre article sur La mort de l’Auteur (1968) l’annonçait : « la naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’Auteur ».
(Lire le sommaire du colloque La lecture littéraire, Paris, Clancier-Guénaud, 1987).
À cette date, le séminaire d’études s’est déjà officiellement transformé en Centre de Recherche sur la Lecture Littéraire, ainsi que le montrent les Actes du colloque de 1984, répertoriés comme publication n° 1 de ce Centre. D’autres vont suivre, précédés de colloques qui sont autant de mises en pratique : Lectures du Sagouin de François Mauriac (1987), Lecture de Roger Vailland (1990), Lectures de L’Enfant de Jules Vallès (1991).
Le colloque Comment la littérature agit-elle ? (Reims, 1992) marque le troisième temps fort de la réflexion ainsi entreprise. L’attention portée à l’effet littérature met en évidence l’impossibilité de réduire le langage, dans sa visée esthétique, aux modèles de la communication et de l’information. L’ambition globalisante de la lecture littéraire se trouve confirmée : « Dans le domaine de la théorie littéraire, dans celui de l’esthétique en général, l’époque de la spécialisation, de l’érudition simple, du compartimentage, peut-être de la modestie, cette époque est révolue » (Comment la littérature agit-elle ?, Paris, Klincksieck, 1994, p. 10). Dans son Introduction aux Actes du colloque, Michel Picard souligne la complémentarité des approches socio-historique et psychologique de l’art. On ne peut selon lui toucher au coeur de la question posée par le colloque sans prendre en compte l’interaction entre le texte et son lecteur, ce qui implique de dépasser la notion sociologique d’horizon d’attente et les formalisations de lecteurs abstraits : « l’archilecteur de Riffaterre, le Lecteur Modèle d’Eco, le narrataire de Prince, le lecteur implicite d’Iser » (p. 11). Il s’agit en quelque sorte, ainsi que le suggère la troisième partie des Actes, d’inverser les perspectives en analysant à partir de la position du lecteur et jusque dans ses contradictions la dynamique créatrice de l’effet littérature.
(Lire le sommaire du colloque Comment la littérature agit-elle ?)
La visée synthétique de la théorisation ainsi entreprise trouve parallèlement son expression dans deux ouvrages de Michel Picard : La lecture comme jeu (Minuit, 1986) et Lire le temps (Minuit, 1989).
Le premier essai choisit le concept de jeu pour appréhender une double dimension de l’activité littéraire assimilée à la lecture : la déconstruction des codes socioculturels et simultanément la fonction intégratrice, participant d’un processus de construction du Moi. Dans le sillage de Winnicott, la littérature comme art est assimilée à une forme supérieure de jeu, encore étayée sur le modèle des jeux enfantins. Le texte littéraire joue le rôle de l’objet transitionnel permettant au sujet lecteur de se dégager de ses identifications primaires et d’élever la qualité de sa socialisation. Michel Picard souligne le lien entre cette théorie de l’objet transitionnel et son soubassement analytique en l’articulant au fameux « Fort-Da » ou jeu de la bobine décrit dans les Essais de psychanalyse. La lecture littéraire ainsi envisagée conjugue illusion et désillusion, jeu de règles (game) et jeu de rôle (playing), balisant l’espace de création dévolu au lecteur. Afin de modéliser les dédoublements à l’oeuvre dans le jeu de la lecture littéraire, Picard propose trois instances : liseur, lu, lectant. « Ainsi tout lecteur serait triple (même si l’une ou l’autre de ses composantes est atrophiée) : le liseur maintient sourdement, par ses perceptions, son contact avec la vie physiologique, la présence liminaire mais constante du monde extérieur et de sa réalité ; le lu s’abandonne aux émotions modulées suscitées dans le Ça, jusqu’aux limites du fantasme ; le lectant, qui tient sans doute à la fois de l’Idéal du Moi et du Surmoi, fait entrer dans le jeu par plaisir secondarité, attention, réflexion, mise en oeuvre d’un savoir, etc. » (La lecture comme jeu, p. 214).
Lire le temps affirme plus fortement l’identité entre littérature et lecture. L’essai éclaire la façon complexe dont les différentes temporalités viennent se fondre dans l’acte de lecture : « si le discours, la thématique, les procédés d’écriture relatifs au temps peuvent susciter des effets de sens intéressants, il n’est de temps véritable cependant que dans, mais aussi par la lecture ainsi comprise [sous la forme du jeu littéraire] ». « Jouer, c’est jouer avec le temps. Lire, c’est agir sur son temps, intégrer son histoire et l’intégrer dans l’Histoire ».
La lecture littéraire ainsi conçue apparaît comme une performance singulière rejouée par chaque individu dans son rapport aux formes sociales de la pensée.
2/ LES ANNÉES 1993-2006 : développement et évolutions du CRLELI
a/ 1993-1999
(Témoignage Bertrand Marchal)
En 1993, à la demande de Michel Picard qui souhaite organiser dans les meilleures conditions sa succession, Bertrand Marchal accepte d’être élu à la tête du Centre. Il prend donc en charge les responsabilités de son prédécesseur jusqu’à son propre départ en 1999, soit :
« 1, La direction du DEA qui avait pour titre… La Lecture littéraire.
2, La direction du Centre de recherche de littérature
(EA 1244 puis EA 2074), seul Centre alors reconnu par le Ministère, et qui fédérait tous les centres de recherche littéraire de l’UFR.
3. La direction du Centre de recherche sur la lecture littéraire (qui faisait donc partie du Centre précédent). »
« Je l’ai fait, précise Bertrand Marchal, uniquement par fidélité au voeu de Michel Picard, et tout à fait en dehors de mes propres recherches, car j’ai absolument tenu à n’être jamais juge et partie.
Le relais a été passé à Vincent Jouve en juin 1999, dans les mêmes conditions que 6 ans plus tôt entre Michel Picard et moi. J’ai ainsi assuré un long intérim entre deux théoriciens. Ma « politique », pendant ces 6 années, a été double, conformément à la double nature du Centre, qui avait à la fois une forte identité théorique et une vocation plus large:
* Assurer la continuité de ce qu’avait fondé Michel Picard, en permettant à V. Jouve de créer une revue portant le titre du Centre, et d’organiser un colloque sur l’illisible.
* Permettre à tous les membres du Centre, qui n’étaient pas tous théoriciens (ni tous francisants), d’organiser des colloques aux confins de la théorie et de l’histoire littéraire (colloque de Ph. Chardin sur Musil, d’Yves Ménager sur la littérature des camps ou sur G. Hyvernaud, d’Irving Wolfahrt sur les génocides, de Béatrice Dumiche sur Goethe,etc ». (B.M.)
b/ 1999-2006 (A.T.)
Vincent Jouve incarne donc la continuité de l’identité de recherche du Centre de Recherche sur la Lecture Littéraire (CRLELI) ; il en assure aussi le renouvellement. L’acte de lecture se trouve interrogé dans une perspective générale qui inclut et déborde ce qui était précédemment désigné comme lecture littéraire. La revue La Lecture Littéraire témoigne de cette double dimension, à travers ses huit premiers numéros dont la parution commence en novembre 1996. Des questions anciennes (« L’interprétation », « l’allégorie ») font l’objet d’une approche modernisée ; d’autres apparaissent en complément (« Le lecteur dans l’oeuvre », « Écrivains, lecteurs ») ; ajoutons encore la perspective historique (« Lire à la Renaissance ») et l’élargissement de la réflexion esthétique au domaine iconographique (« Lire avec des images en Europe au XIXème siècle »). L’entité lecture littéraire y perd sans doute un peu de sa netteté, mais la réflexion poursuivie sous ce label s’enrichit, prenant comme véritable point d’ancrage la lecture seule, interrogée à partir des multiples problèmes qu’elle pose.
Les deux colloques organisés par Vincent Jouve – « L’illisible » (1997) et « L’expérience de lecture » (2002) (lire l’avant-propos) – confirment ce mouvement.
La question de « L’illisible » éclaire le mécanisme de lecture en focalisant l’attention sur un pôle supposé contraire. Les Actes du colloque (La Lecture Littéraire, n° 3) reflètent la continuité d’une réflexion cherchant à faire la part du texte et celle du lecteur, ainsi que le montrent les deux premières parties (I, « L’illisible comme stratégie textuelle », II, « l’illisible comme pratique de lecture »). La portée pédagogique de la recherche n’est pas absente (III, « Pour une didactique de l’illisible »). Enfin la dernière partie (IV, « L’introuvable définition ») s’emploie, non à brouiller les pistes, mais à faire apercevoir les zones d’ombre subsistant au coeur de la question.
Le colloque L’expérience de lecture s’emploie à « cerner l’acte de lire dans ce qu’il a de plus concret (et, peut-être aussi, de plus difficile à identifier) : que se passe-t-il, lorsqu’on lit un texte sur les plans cognitif ? affectif ? Intellectuel ? Qu’y entre-t-il de culturel ? d’imaginaire ? Quelle est la part de l’équation personnelle dans le vécu du texte et la construction du sens ? Y a-t-il une spécificité de l’expérience de lecture par rapport aux expériences voisines du cinéma et du théâtre ? » Les premiers chapitres se penchent à nouveau sur les prérogatives du lecteur (I, « Du côté du lecteur : les droits du sujet) et sur celles du texte (II, « Du côté du texte : la lecture cadrée »), puis sur les suggestions textuelles en matière d’expérience de lecture (III, Le lecteur dans l’oeuvre »). Les deux derniers abordent dans leur dimension problématique les rapports entre lecture littéraire et expérience de lecture. Le chapitre IV (« La lecture littéraire et les autres lectures ») « évalue la lecture littéraire par rapport aux lectures voisines et concurrentes », interrogeant cette identité qui fonde le Centre et sa revue. Le chapitre V (« La littérature comme expérience ») « comprend plusieurs synthèses qui ont en commun de définir le littéraire à partir de l’expérience qu’il suscite ».
Plusieurs colloques ou journées d’étude poursuivent la réflexion à travers des applications concrètes : « Diagonales sur Roger Caillois » (1998), « L’allégorie » (janvier 1999), « Lire un texte au statut complexe : Le Paysan de Paris » (mars 2003), « La provocation dans l’art et la littérature » (octobre 2003), « Lire Philippe Jaccottet » (novembre 2003).
L’objet lecture littéraire conçu dans son acception esthétique d’origine n’a donc pas disparu de l’horizon de recherche. L’interrogation systématique et multiforme appliquée à la lecture en général le maintient comme pôle de réflexion ; le mettre en question, c’est peut-être assurer, paradoxalement, sa vigueur et son actualité.
La production théorique de Vincent Jouve traduit également ce balancement entre lecture littéraire et lecture au sens large, entre l’analyse des mécanismes à l’oeuvre dans une série de performances singulières (L’effet-personnage dans le roman, PUF écriture, 1992), et la volonté de faire de la lecture le carrefour des interrogations modernes sur la littérature (La lecture, Hachette supérieur, 1993 ; La poétique du roman, Sedes, 1997 ; Poétique des valeurs, PUF Ecriture, 2001). On revient alors, dans un but pédagogique manifeste, à des savoirs plus formalisés et communicables, par un renouvellement de la poétique des formes prenant comme point d’ancrage le destinataire du texte.
L’effet-personnage dans le roman se présente encore par bien des aspects comme un aménagement de la théorie picardienne. Le titre annonce la problématique nouvelle appliquée à la question déjà ancienne du personnage, ici abordée dans son rapport au lecteur. L’auteur reprend et aménage le modèle des trois instances lectrices. Il apparaît en effet que les identifications du lecteur, génératrices de l’illusion, ne se laissent pas aisément ranger sous la catégorie unique du lu, dès lors que l’on songe à distinguer les investissement pulsionnels ressortissant à une projection fantasmatique et les investissements affectifs propres à l’illusion référentielle, investissements à présent placés sous un nouveau régime, celui du lisant. Vincent Jouve, qui conserve par ailleurs le régime du lectant, maintient aussi celui du lu, dans une acception plus restreinte que chez Picard : « notre tripartition : lectant, lisant, lu repose sur la structure complexe du crédit que le sujet accorde à l’univers romanesque » (L’effet-personnage, p. 82). À cette tripartition correspondent trois modalités du rapport au personnage : l’effet-personnel, l’effet-personne et l’effet-prétexte. Pour prévenir le schématisme du modèle ternaire, l’auteur avance des catégories secondes. Il distingue un lectant jouant, pour qui le personnage tient lieu de pion narratif et un lectant interprétant qui l’envisage comme pion herméneutique (p. 84). De son côté, l’illusion référentielle, qui piège le lisant, s’appuie sur trois codes de sympathie : code narratif, code affectif et code culturel (p. 123). Enfin le lu s’articule à trois sortes de libido : libido sciendi, libido sentiendi, libido dominandi. L’analyse des effets produits par le personnage tend ainsi à se rapprocher de la complexité des lectures réelles en laissant entrevoir de nouveaux dédoublements du lecteur appréhendés dans leurs connexions internes.
Les trois ouvrages suivants affirment de plus en plus nettement la visée pédagogique de leur auteur, son souci d’offrir au public universitaire des instruments d’analyse. Les outils forgés par la poétique des textes sont convoqués dans la perspective englobante d’une lecture adossée aux contraintes textuelles. La lecture, dont le titre se signale par la suppression de tout adjectif, marque la volonté d’élargissement décrite plus haut. Les catégories de la lecture littéraire y sont encore présentes dans la structure même du propos (I, « Qu’est-ce que la lecture ? » « Une activité à plusieurs facettes », « Une activité différée » ; III, « L’interaction texte/lecteur » ; V, « Le vécu de la lecture », VI, « L’impact de la lecture ») mais déjà problématisés (II, « Un casse-tête théorique : le lecteur est-il pensable ? »). Les deux livres suivants n’ont plus pour objet principal de développer une réflexion sur la lecture. L’allusion à des problèmes littéraires (le roman) ou esthétiques (les valeurs), déplace un peu plus l’accent vers le texte et ses contraintes ou lieux problèmes (les « points-valeurs » proposés dans Poétique des valeurs). La performance lectrice y est encore évoquée, mise en perspective dans son rapport à la donne textuelle qui reprend le dessus. Mais il s’agit, répétons-le, de livres à caractère didactique qui ne sauraient enfermer l’étudiant dans un savoir théorique trop « pointu ».
Avec l’entrée en juin 2004 de l’équipe CRLELI dans le CIRLLLEP (Centre Interdisciplinaire de Recherches sur les Langues, les Littératures, la Lecture et l’Élaboration de la Pensée), s’ouvre une nouvelle page. L’adoption de structures transversales associant des chercheurs venus d’horizons divers peut, si elle ne dilue pas définitivement son objet, donner une dimension nouvelle à la réflexion sur la lecture en général et sur la lecture littéraire, activité esthétique mobilisant une somme de savoirs et de facultés.
En janvier 2006 paraît le numéro 8 de La Lecture littéraire « La case aveugle », textes réunis par Marc Escola et Sophie Rabaud. Le volume explore notamment l’application, dans la perspective de la lecture, du concept d’énoncé fantôme avancé par Michel Charles dans son Introduction à l’étude des textes (1995). (A.T.)
3/ 2006-2016 : NOUVELLES EVOLUTIONS
a/ inflexion 2006 (rédaction Vincent Jouve)
« L’année 2006 voit arriver au premier plan la figure d’Alain Trouvé. Spécialiste d’Aragon et d’Elsa Triolet, ce théoricien de la littérature, qui anime chaque année un séminaire de recherche sur la lecture, reprend la direction de la revue La Lecture littéraire dont paraît en décembre 2007 le numéro 9 « Lecture et psychanalyse ». Deux essais importants (Le lecteur et le livre fantôme / Essai sur La Défense de l’infini de Louis Aragon, Paris, Kimé, 2000 ; La lumière noire d’Elsa Triolet (1993), Lyon, ENS éditions, 2006) l’ont conduit à construire progressivement une théorie originale de la lecture littéraire. Le fruit de ces réflexions est présenté dans Le roman de la lecture. Critique de la raison littéraire (Liège, Mardaga, 2004).
Après avoir publié plusieurs études dans le sillage de M. Picard et de J. Bellemin-Noël, A. Trouvé propose d’envisager la lecture littéraire comme « pratique esthétique ». Acte synthétique associant régime ludique et fonction cognitive, la lecture littéraire se distinguerait de la lecture ordinaire sur deux points : par la façon particulière dont elle fait interagir émotions et opérations intellectuelles ; par son souci de concilier le respect de la donne textuelle et l’activité créatrice du lecteur.
Cette « expérience » – la précision est essentielle – n’est appréhendable qu’à partir du « contre-texte » verbalisé du lecteur. Alain Trouvé propose d’en rendre compte par la métaphore théorique du roman de la lecture. En tant que parcours de sens, aventure interprétative, le contre-texte du lecteur se conçoit en effet comme une sorte de roman d’apprentissage. Le « roman du lecteur » évoque également l’investissement imaginaire (fondé sur la dialectique connaissance/méconnaissance), la dimension esthétique du rapport à l’oeuvre littéraire et le caractère protéiforme de l’expérience qu’elle procure.
La force de ce « roman de la lecture » est de matérialiser un parcours et des mises en relation de tous ordres : il renvoie ainsi à « un savoir qui touche aux trois pôles du texte, du monde et du soi ». Le dernier point est sans doute le plus important. Alain Trouvé rattache en effet la valeur de la lecture littéraire au fait qu’elle s’inscrit dans un processus de remise en question du sujet » : « toute expérience de lecture, pour autant qu’elle s’appuie sur un processus actif, intègre un volet de déconstruction identitaire à double face, psychologique et idéologique ». Le texte littéraire, au-delà des rôles qu’il programme, se présente comme un espace de liberté et d’activité, qui permet au lecteur de se redéfinir.
Sur la base de ces hypothèses théoriques, A. Trouvé travaille actuellement sur le statut et les enjeux de l’intertextualité dans l’expérience de lecture. » (V.J.)
b/ 2006-2016 : l’Axe lecture du CRIMEL, le Séminaire Approches Interdisciplinaires de la Lecture et le CIRLEP (rédaction A.T.)
Juin 2008 : Le CRLELI devenu Groupe de Recherche sur la Lecture Littéraire (GRLELI) intègre en tant qu’« axe lecture » un nouveau laboratoire, le CRIMEL (Centre de Recherche Interdisciplinaire sur les Modèles Esthétiques et Littéraires, EA 3311), dirigé par Françoise Gevrey, puis par Jean-Louis Haquette. Le rattachement au CRIMEL de « l’axe lecture », toujours dirigé par Vincent Jouve, correspond à un recentrage plus clair sur le fait littéraire. Il n’annule pas la collaboration avec l’autre équipe devenue CIRLEP (Centre Interdisciplinaire de Recherche sur les Langues et la Pensée), tant reste vive, de part et d’autre, l’aspiration à une approche interdisciplinaire susceptible d’éclairer les faits culturels et particulièrement littéraires. Cette réflexion transversale est notamment représentée par une structure mixte : le séminaire Approches Interdisciplinaires de la Lecture, codirigé depuis sa fondation en 2006 par un membre du CRIMEL (Alain Trouvé) et un membre du CIRLEP (Marie-Madeleine Gladieu), rejoints en 2010 puis 2015 par deux autres enseignants chercheurs, du CRIMEL (Jean-Michel Pottier) puis du CIRLEP (Christine Chollier). Lire à ce sujet : l’entité A2IL.
L’équipe du Séminaire considère comme son apport théorique principal l’élaboration de la notion d’arrière-texte, effectuée au cours des deux sessions 5 et 6 (2009-2011), grâce au concours d’une vingtaine de chercheurs français et internationaux, recherche reprise dans une synthèse augmentée sous le titre L’Arrière-texte Pour repenser le littéraire, Bruxelles, Peter Lang, 2013.
Des colloques et des publications à l’échelle du CRIMEL contribuent par ailleurs à la poursuite de la réflexion sur la lecture littéraire, appréhendée sous différents angles.
Citons notamment :
– Nathalie Preiss (dir.), Mélire ? Lecture et Mystification, Paris, L’Improviste, 2006.
– Sébastien Hubier & Alain Trouvé (dir.), Lecteurs et lectrices, théories et fictions, Dijon, ABELL, 2007.
– Vincent Jouve (dir.), La valeur littéraire en question, Paris, L’Improviste, 2010.
– Vincent Jouve, Pourquoi étudier la littérature ?, Paris, Armand Colin, 2010.
– Vincent Jouve, Nouveaux regards sur le texte littéraire, Reims, épure, 2013.
– Céline Bohnert & Françoise Gevrey (dir.), L’Anthologie, Histoire et enjeux d’une forme éditoriale du Moyen-Âge au XXIe siècle, Reims, épure, 2014.
De 2007 à 2014, ont paru quatre numéros supplémentaires de La Lecture littéraire (dir. A.T.) :
– Lecture littéraire et psychanalyse, n° 9, 2007. Recension sur le site Fabula http://http://www.fabula.org/revue/document3899.php
– Théorie littéraire et culturalisme, n° 10, 2009.
– La non-lecture, n° 11, 2011 (textes réunis par Céccile Bishop et léa Vuong).
– Le contre-texte, n° 12, 2014.
Au total, douze numéros de La Lecture littéraire ont été à ce jour publiés. (Accéder à la liste des douze numéros).
Depuis 2007, l’axe lecture du CRIMEL et le Séminaire renommé en 2015 Approches Interdisciplinaires et Internationales de la Lecture (A2IL) entretiennent des rapports étroits avec le Groupe de Recherche Lire en Europe Aujourd’hui, fondé en 2007 à Nimègue par Franc Schuerewegen, actuellement professeur à l’université d’Anvers.
Des liens ont été noués dans le cadre du présent site géré par l’équipe A2IL, avec d’autres entités à l’échelle internationale : Université de Montréal, Association Portugaise d’études françaises (Université de Lisbonne), Multilingualism and intercultural studies (Université du Luxembourg), Groupe de recherche Connexion française (U. Budapest), Centre de Recherche Interdisciplinaires sur les pratiques enseignantes et les disciplines scolaires (U. Louvain), Université Meiji de Tokyo, UNMSM (Lima), PUCP (Lima), Universidad Nacional Santiago de Mayolo (Huaraz, Pérou)…