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Note de lecture, Luc Vigier, « Lire l’humain »

PUBLICATION EN LIGNE

Institut des Textes et Manuscrits (ITEM)

Luc Vigier

Note de lecture

Parution : Lire l’humain, d’Alain Trouvé, ENS Editions, 340 p., 2018.

Alain Trouvé, maître de conférences à l’université de Reims, un des rares chercheurs à être à la fois spécialiste d’Elsa Triolet et d’Aragon, travaille depuis des années, avec passion et méthode, au sein du CRIMEL, sur les théories de la lecture et se concentre en particulier sur la question de l’arrière-texte. Doit-il à cette double compétence le goût des croisements ? Invité à l’un de nos séminaires, Alain Trouvé avait parlé il y deux ans des rapprochements possibles entre Aragon et Barthes (à paraître dans Les Cahiers Aragon n°2 en 2019), dont les liens philosophiques et théoriques pouvaient a priori faciliter l’idée. Avec Aragon et Ponge, le défi est plus important. Contemporains, les deux hommes se sont connus, se sont lus, mais pas toujours de manière très amène, avec des accointances suivies de longs silences, des sympathies politiques et morales communes puis une divergence très nette. Il a souvent fallu un tiers pour comprendre qu’ils ne s’étaient jamais totalement perdus de vue (Paulhan d’abord, Ristat ensuite). Les deux oeuvres ne suivent pas les mêmes chemins d’écriture, ou plutôt leurs écritures respectives ne les ont pas conduits sur les mêmes territoires ni fait plonger dans les mêmes folies. Si des convergences sont lisibles, discrètes, complexes (la poétique de la ville, le rapport au manuscrit, au processus de création, à l’art et à la peinture en particulier), l’enjeu de Lire l’humain se situe certainement ailleurs, dans cette analyse de la lecture de l’autre en soi et de soi en l’autre qui apparaît comme un fil rouge du propos, bientôt prolongé par celui de l’intimité d’une écriture de soi, particulièrement intéressante à observer dans les ouvrages publiés par Aragon (Les Incipit, 1969) et Ponge (La Fabrique du pré, 1971). Alain Trouvé, dont le regard embrasse, non sans quelques ellipses, la vaste période qui va des années dada aux années 80, va chercher assez loin dans le détail des textes les soubassements et les pilotis de trajectoires intérieures secrètes et énigmatiques. C’est sans doute cette résistance des deux oeuvres à l’interprétation, au moment même où elles semblent s’expliquer et se dé-lire qui attise l’intérêt d’Alain Trouvé. Il nous guide dans cette enquête à double fond avec une clarté constante, dans un livre joliment édité par les éditions de l’ENS, qui renforce encore cet effet. Ons’approche, au fil des chapitres, qui se déplacent du métatexte à l’intertexte puis de l’intertexte à l’arrière-texte et aux pré-textes, d’une ontologie esthétique des deux auteurs, tout au long de textes oubliés comme La Fabrique du pré (qui rappelle la qualité incroyable de toute la série des Sentiers de la création, avec Skira mais aussi le génial Gaëtan Picon, dont Alain trouvé avait déjà souligné l’importance dans une communication à l’ITEM sur La « Mémoire du monde » ou Le paradis imparfait d’André Masson), d’une forme de philosophie de la lecture considérée justement comme fabrique et sentier de la création. Une occasion aussi de redécouvrir Ponge, de revenir sur les textes, de replonger dans ces années de recherche fondamentales aux frontières du dire et du peindre.

NB : Luc Vigier est directeur de l’équipe Aragon de l’ITEM

http://louis-aragon-item.org/lire-l-humain-d-alain-trouve-recension-de-l-vigier-a159087646

 

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